English
Excerpt from the book
I was sixteen when I found out. The year was 1968. My father and I were in the kitchen, he, in his usual talk-spot by the pantry door, my sixteen year-old self in a chair by the window. The two of us were reminiscing about the time I was a little girl, learning to write the letters of the alphabet. We remembered that, under his guidance, I'd learned to write all of the letters very quickly except for the letter 'R'.
"Until one day," I said to my father, "I realized that to make an 'R' all I had to do was first write a 'P' and then draw a line down from its loop. And I was so surprised that I could turn a yellow letter into an orange letter just by adding a line."
"Yellow letter? Orange Letter?" my father said. "What do you mean?"
"Well, you know," I said. "'P' is a yellow letter, but 'R' is an orange letter. You know - the colors of the letters."
"The colors of the letters?" my father said.
It had never come up in any conversation before. I had never thought to mention it to anyone. For as long as I could remember, each letter of the alphabet had a different color. Each word had a different color too (generally, the same color as the first letter) and so did each number. The colors of letters, words and numbers were as intrinsic a part of them as their shapes, and like the shapes, the colors never changed. They appeared automatically whenever I saw or thought about letters or words, and I couldn't alter them.
I had taken it for granted that the whole world shared these perceptions with me, so my father's perplexed reaction was totally unexpected. From my point of view, I felt as if I'd made a statement as ordinary as "apples are red" and "leaves are green" and had elicited a thoroughly bewildered response. I didn't know then that seeing such things as yellow P's and orange R's, or green B's, purple 5's, brown Mondays and turquoise Thursdays was unique to the one in two thousand persons like myself who were hosts to a quirky neurological phenomenon called synesthesia. Later in my life, I would read about neuroscientists at NIH and Yale University working to understand the phenomenon... But that day in the kitchen, my father and I, never having heard of synesthesia, both felt bewildered. For me, it was one of those coming-of-age moments when I glimpsed that the world might not really be as I had grown up perceiving it. It was a moment when that most basic of questions that binds human beings socially, "do you see what I see?" seemed to hang in a vacuum, independent of any shared context.
I suddenly felt marooned on my own private island of navy blue C's, dark brown D's, sparkling green 7's, and wine-colored v's. What else did I see differently from the rest of the world? I wondered. What did the rest of the world see that I didn't? It occurred to me that maybe every person in the world had some little oddity of perception they weren't aware of that put them on a private island, mysteriously separated from others. I suddenly had the dizzying feeling that there might be as many of these private islands as there were people in the world.
Français
Un extrait du livre original en anglais
J’avais seize ans lorsque j’ai découvert le monde de la synesthésie. C’était en 1968. Mon père et moi étions dans la cuisine : lui, dans son coin favori pour les discussions, à côté de la porte du garde-manger ; et, moi-même, sur une chaise près de la fenêtre. Nous évoquions tous les deux des souvenirs remontant à l’époque où j’étais une petite fille apprenant à écrire les lettres de l’alphabet. Nous nous sommes souvenus qu’avec son aide, j’avais appris à écrire toutes les lettres très rapidement, à l’exception de la lettre « R ».
« Jusqu’à ce qu’un jour, ai-je dit à mon père, je réalise que pour faire un R, tout ce que j’avais besoin de faire, était tout d’abord d’écrire un P, puis de dessiner une ligne descendante à partir de la boucle du P. Et, j’étais tellement surprise de pouvoir transformer une lettre jaune en lettre orange, simplement en ajoutant une ligne.
– Lettre jaune ? Lettre orange ?, a dit mon père. Que veux-tu dire ?
– Eh bien, tu sais, ai-je dit. P est une lettre jaune et R est une lettre orange. Tu sais : la couleur des lettres.
– La couleur des lettres ?, a dit mon père »
Ce sujet n’avait jamais surgi auparavant, dans aucune conversation. Je n’avais jamais pensé à le mentionner à qui que ce soit. Aussi loin que mes souvenirs pouvaient remonter, chaque lettre de l’alphabet avait toujours eu une couleur différente. Chaque mot avait aussi sa propre couleur, de même que chaque chiffre. La couleur faisait partie intrinsèque des lettres, des mots et des chiffres, autant que leur forme, et comme leur forme, les couleurs étaient toujours les mêmes. Elles apparaissaient automatiquement et je ne pouvais pas les altérer.
J’avais toujours pensé que le monde entier partageait ces perceptions avec moi. La réaction perplexe de mon père était totalement inattendue. De mon point de vue, il me semblait que je venais de faire une déclaration aussi ordinaire que « les pommes sont rouges » et les « feuilles sont vertes », mais je venais de susciter une réponse complètement abasourdie. Je ne savais pas encore que voir des choses telles que des P jaunes et des R oranges, des B verts et des 5 violets, des lundis marrons et des jeudis turquoises était une particularité unique à une personne parmi deux mille comme moi-même, hébergeant un phénomène neurologique bizarre appelé « synesthésie ». Dans la synesthésie, lorsque l’un des cinq sens est stimulé, celui-ci plus un autre répondent tous les deux. Cela peut amener les synesthètes à connaître des perceptions mélangées de façon curieuse, telles que les mots et les sons ayant des couleurs et même des goûts, et les goûts ayant des formes. Plus tard au cours de ma vie, j'ai eu l'occasion de lire des articles sur des synesthètes, tels que Michael Watson (qui est le sujet du livre The Man Who Tasted Shapes [l’homme qui goûtait les formes], par le neurologue Dr. Richard Cytowic). Un autre synesthète a décrit le nom « Francis » comme ayant « le goût de haricots au four » ; une autre artiste encore, Carol Steen, déclare que les fortes céphalées dues aux sinusites ont une « couleur orange terrassante », alors que les plus faibles sont « seulement vertes ». Au cours des dix dernières années environ, les neuroscientifiques, travaillant pour la plupart à l’Université de Cambridge en Angleterre, ont fait des études prouvant que la synesthésie pouvait être transmise génétiquement, produisant un modelage inhabituel des neurones dans le cerveau des synesthètes et provoquant le croisement de la vue avec l’audition, celui du goût avec le toucher.
Mais ce jour-là, dans la cuisine, mon père et moi n’avions jamais entendu parler de synesthésie, et nous étions tous les deux déroutés. L’étonnement de mon père s'est accru lorsqu’il a appris que sa fille voyait non seulement des lettres colorées, mais aussi des chiffres et des unités temporelles en couleurs : une semaine était un trottoir coloré composé de sept carrés, un pour chaque jour, et une année était une corde allongée composée de douze rectangles colorés. Mon père était surpris de mes descriptions et j’étais étonnée de sa surprise. Pour moi, cela a été l’un de ces moments de réalisation, au cours duquel j’ai entrevu que le monde pouvait ne pas vraiment être comme celui dont j'avais pris conscience en grandissant. Ce fut un moment où la question la plus simple parmi celles qui lient les êtres humains socialement (Voyez-vous la même chose que moi ?) a eu l’air de rester en suspens dans le vide, indépendante de tout contexte partagé.
Je me suis soudainement sentie abandonnée sur ma propre île privée où les C étaient bleus marine, les D marrons foncés, les 7 verts brillant et les V couleur de vin. Quelles autres choses pouvais-je voir différemment du reste du monde ? me suis-je demandée. Que voyait le reste du monde que je ne voyais pas ? Il me vint à l’esprit que, peut-être, chaque personne au monde avait une petite bizarrerie de perception dont elle n’était pas consciente, qui la plaçait sur une île privée, mystérieusement séparée des autres. J’ai eu soudain le sentiment étourdissant qu’il y avait peut-être autant de ces « îles » privées qu’il y avait de personnes dans le monde.
Cette conversation dans la cuisine a propulsé mon père dans toutes les bibliothèques et toutes les librairies, à la recherche de lambeaux d’informations qui pouvaient expliquer les perceptions étranges de sa fille. Sa quête a débouché sur la découverte du mot magique « synesthésie », qui plaça mes perceptions sur la carte d’un terrain reconnu de l’expérience humaine. Il releva la référence à la synesthésie dans un article sur la méditation, dans une copie de Yoga Digest (condensé de yoga) trouvée dans une librairie pour livres d’occasion. Mon père et moi, nous avons découvert par la suite que d’autres avaient aussi exploré l’univers de la synesthésie : le poète français du dix-neuvième siècle, Arthur Rimbaud a écrit un poème intitulé « Voyelles » illustrant la vison de voyelles colorées ; l’un des plus grands romanciers du vingtième siècle, Vladimir Nabokov, a décrit son alphabet en couleurs dans son autobiographie Autres rivages ; les compositeurs Franz Liszt et Olivier Messiaen voyaient tous les deux des notes de musique colorées, ce dernier les célébrant dans ses compositions comme par exemple dans « Les couleurs du temps » ; le peintre David Hockney a décrit comment le fait d’entendre de la « musique colorée » l’a aidé à concevoir des décors de scène pour le Metropolitan Opera ; l’artiste Carol Steen exprime ses perceptions synesthétiques dans ses sculptures et sa peinture ; et le physicien, Richard Feynman, a décrit les équations colorées qui l’ont aidé à formuler la théorie quantique pour laquelle il a reçu un Prix Nobel.
Des esprits bien moins prestigieux ont fait l’expérience du monde synesthétiquement, mais ceux qui possèdent ces esprits ont tendance à garder leurs perceptions sous silence, car ils se sentent inhibés par le fait que tant de gens n’ont jamais connu ni n'ont jamais entendu parler de la synesthésie. Nous, les synesthètes, avons appris tôt que pour la plupart des gens, nos perceptions sont purement capricieuses, voire suspectes. Les autres ne voient pas ce que nous voyons, et ils ne sont pas convaincus que nous le voyons nous-mêmes.
Pendant des siècles, les scientifiques n’ont su que faire des étranges rapports des synesthètes : avec seulement des évidences anecdotiques sur lesquelles s’appuyer, les tentatives de recherche se sont interrompues. Même le scientifique du dix-neuvième siècle, Sir Francis Galton, qui a réellement consacré son temps à étudier les rapports de perceptions synesthétiques, a proclamé initialement que « tous ces rapports sont encore plus lunatiques les uns que les autres ». Maintenant que la science dispose de la technologie lui permettant d’explorer l’intérieur du cerveau et d’observer son activité, l’étude de la synesthésie a repris. De nos jours, les scientifiques des universités et des instituts les plus importants (Yale, Université de Californie, M.I.T, Université de Grenade, Université de Waterloo et Cambridge), impatients de connaître les secrets que la synesthésie peut révéler sur le cerveau humain, sont en train d’étudier des cerveaux de synesthètes à l’aide de dispositifs de balayage de haute technologie.
De retour en 1993, il s’est trouvé que mon mari Josh est tombé par hasard sur un article portant sur l’une de ces récentes recherches sur la synesthésie, publié dans le magazine The Economist, aussi étrange que cela puisse paraître. En me passant cet article l’air de rien, il me demanda : « N’est-ce-pas ce que tu as ? » L’article intitulé « Purple Prose » (prose magenta) (écrit par Alison Motluck, elle-même une synesthète), parlait de recherches effectuées à l’Institut de Psychiatrie de Londres, où le docteur Simon Baron-Cohen dirigeait une équipe de neuroscientifiques et dont les résultats prouvaient qu’un phénomène vraiment différent se produisait dans le cerveau des synesthètes. J’écrivis immédiatement au docteur Baron-Cohen, et je fis même un « pèlerinage » à Londres l’été suivant, pour le rencontrer. Autour d’une tasse de thé dans son bureau de Denmark Hill à Londres, le docteur Baron-Cohen me raconta comment les synesthètes possédant un langage coloré traitent la langue et les sons dans une partie de leur cerveau généralement réservée au traitement des informations visuelles. Il me parla de l’Association internationale de synesthésie (ISA, où International Synesthesia Association), qui avait sponsorisé des conférences d’un jour organisées autour de présentations données par des synesthètes et des chercheurs. Je suis devenue peu après un membre de l’ISA, et quelques années plus tard, je me suis rendue en Angleterre pour assister à l’une des ces conférences données à l’Université de Cambridge.
À cette réunion de Cambridge, cinquante synesthètes environ se sont rassemblés pour écouter des présentations dans lesquelles nos perceptions étaient parées du langage distingué des « trouvailles » scientifiques. Des chercheurs ont déclaré que les descriptions des synesthètes reflétaient des points communs. Pour beaucoup d’entre nous, un mot adopte l’empreinte colorée de sa première lettre. Presque tous voient les lettres O, I et U dans la même gamme de couleurs (blanche, du blanc au gris pâle, du jaune au marron clair, respectivement). Nous avons également appris qu’une base génétique potentielle de la synesthésie était en cours d’étude, dans la mesure où ce phénomène avait tendance à se retrouver dans les familles. Les chercheurs nous ont dit qu’en étudiant la synesthésie, ils espéraient comprendre davantage le fonctionnement mystérieux du cerveau humain et, peut-être, la manière dont toutes les personnes, synesthètes et non synesthètes, filtrent leurs perceptions et « colorent » leur monde.
Pendant que les synesthètes discutaient au cours de la réception de thé et de biscuits donnée dans l’élégant salon Old Combination Room de Cambridge, tous exultaient. La phrase entendue le plus souvent était : « Je me sens validé(e) ». Ici, se trouvaient des personnes à qui leur famille, leurs amis et leurs collègues avaient dit pendant des années que leurs perceptions de sons colorés étaient « ridicules », « fausses », ou pire encore « fabriquées ». La plupart avaient abandonné, il y a longtemps, l’idée de partager de telles perceptions avec les autres. Une femme de Cambridge d’un certain âge, à la voix douce, me confia : « Lorsque j’étais enfant et que j’ai dit pour la première fois que le nom de chaque personne avait une couleur, on m’a répondu que je devais être très stupide ou très bête pour dire de telles choses.» Plus tard à l’âge adulte, elle était enchantée de participer aux recherches universitaires sur la synesthésie.
Le sentiment d’auto-validation soulagée que la plupart ont éprouvé ce jour-là n’est pas surprenant lorsque l’on considère tout ce qui se cache derrière la question « Vois-tu ce que je vois ? » (qui vais-je épouser, quels seront mes amis et mes alliés au bureau). Il s’agit de l’une des questions de base qui nous propulsent dans la vie, nous conduisant à partager certains de nos moments les plus intimes avec d’autres, renforçant notre sentiment d’identité et de la réalité du monde.
De retour chez moi à New York, et loin de l’assemblée des synesthètes de Cambridge, je me suis tournée vers l’Internet, ce grand validateur de perceptions extraordinaires. En même temps que je me connecte au site Web de MIT sur la synesthésie, je réalise que je suis en train de poursuivre la conversation que j’avais commencée avec mon père en 1968.
Bien avant l’invention de l’Internet et bien avant que des universités prestigieuses accordent de la dignité à l’étude de la synesthésie grâce à des conférences et des sites Web, mon père, tout seul, avait validé ce que je voyais. Parce qu’il était convaincu qu’il existait une certaine logique interne aux perceptions inhabituelles de sa fille, il s’était engagé volontairement à mettre de côté l’incrédulité, condition requise pour qu’une vision ouvre la voie à une autre.
Il y a quelques mois, je fouillais dans un tiroir, dans cette même cuisine où mon père et moi avions eu notre conversation sur mon alphabet coloré, il y a de nombreuses années. J’y trouvai, par hasard, un dessin que j’avais fait à sept ans, intitulé « Chats bleus pour papa». Au dos de ce dessin, dans une note ajoutée au mois de mai 1968, mon père avait écrit : « Remarque sur les œuvres de Patty : elle vient de me dire aujourd’hui que « chat » est un mot bleu. Je comprends maintenant pourquoi ces chats sont bleus. »
Chapitre 1
« Les couleurs se cachent derrière toute chose, y compris la nuit. »
-Katherine Vaz, Saudade
Du plus loin que je me souvienne, les lettres de l’alphabet, les chiffres et les mots ont toujours été en couleurs. Mais, je me souviens aussi qu’à l’époque précédant mon éducation, avant que je ne sache comment lire et écrire, chaque mot évoquait, dans mon esprit, sa propre image unique, colorée et inaltérable. Je dessinais parfois l’image des mots que je « voyais », et je les montrais à mon père, comme je le faisais pour tous mes dessins.
À cette époque, mon père était souvent à la maison. Tout d’abord, parce qu’il avait interrompu sa carrière pour pouvoir prendre soin de son propre père, devenu dépressif à la suite de la vieillesse et de la maladie. Ensuite, parce qu’il devint lui-même dépressif à la mort de son père. Ma mère m’a dit que je le réconfortais. Je pense que nos expériences sur la couleur y ont contribué.
Je me souviens de mon père assis dans le grand fauteuil du salon, vert et affaissé, son coude sur l’accoudoir, son menton dans la main. Je tirais sur cette main avec toute la ténacité de mes quatre ans, déterminée à lui poser des questions sur mes crayons. J’avais besoin d’une couleur qui ne se trouvait pas dans ma boîte à crayons. Que pouvais-je faire ? Lorsque j’étais petite, je dessinais beaucoup et les crayons jouaient un rôle important dans ma vie. À cause de mon insistance, mon père se laissa tirer hors de cet horrible fauteuil trop rembourré et je l’entraînai du côté de ma petite table rouge brillante où, chaque jour, je dessinais toutes sortes de dessins. Cette petite table pour enfant débordait toujours de papier à dessin et de crayons de toutes les couleurs, de toutes les tailles et de toutes les formes. « Mais je n’ai de pas rose, dis-je à mon père, et j’ai besoin de rose. » La couleur rose était très importante ce jour-là. J’étais en train de dessiner l’image d’un mot ; je ne me souviens plus lequel maintenant, mais je me souviens qu’il y avait beaucoup de rose dans cette image.
J’aimais dessiner les différentes images qui apparaissaient dans mon esprit lorsque j’entendais des mots. Je n’ai jamais pensé à dire à qui que ce soit que ces dessins représentaient les images des mots. C’étaient tout simplement mes « dessins ». Ils étaient très cohérents, chacun incorporant tout un ensemble de formes et de couleurs, comme les modèles d’un kaléidoscope. Le mot que je dessinais ce jour-là avait beaucoup de rose dans son modèle.
« Si tu n’as pas de rose, me dit mon père, tu peux peut-être prendre ton crayon rouge. Et colorie très légèrement pour que ça ressemble à du rose.
– Non, dis-je, j’ai besoin de rose. »
Mon père avait l’air fatigué. À cette époque-là, il ne dormait pas toujours bien la nuit et il avait souvent l’air fatigué toute la journée. Pendant un moment, j’ai pensé qu’il allait me quitter pour retourner dans son fauteuil dans le salon. Mais j’avais besoin d’aide avec mes couleurs, donc je savais qu’il allait rester.
« J’ai besoin de rose, papa, dis-je encore une fois.
– Bien, dit mon père, on peut peut-être faire du rose avec ton crayon rouge et ton crayon blanc.
– Faire du rose ?, ai-je demandé.
– Oui, dit mon père. Si on mélange deux couleurs, on peut faire une nouvelle couleur complètement différente.
– Une nouvelle couleur complètement différente ? répétai-je émerveillée. On peut faire du rose ? » Cela semblait magique. Mon admiration d’enfant garda mon père, là près de ma petite table rouge, et l’empêcha de retourner vers son fauteuil gris-vert. Il me proposa même d’aller dans la cuisine pour faire une expérience avec des couleurs, en faisant de nouveaux crayons avec de nouvelles couleurs tout en mélangeant et en recombinant les crayons colorés de ma boîte.
Dans la cuisine, les rayons du soleil filtraient par la fenêtre qui donnait sur le cerisier du jardin, derrière la maison, où les oiseaux se perchaient et picoraient les petites cerises rouges. J’observais avec beaucoup d’excitation mon père qui râpait mes crayons avec la râpe à légumes de ma mère. Des copeaux de crayons rouges vifs et blancs tombaient de la râpe dans la casserole au-dessus du feu, pendant que les moineaux gazouillaient et que les ombres du cerisier du jardin tremblaient autour de nous, sur les murs de la cuisine. Mon père alluma la flamme du brûleur de la cuisinière, et je regardais, fascinée, les copeaux de crayon se liquéfier. Mon père versa ensuite ce liquide dans le corps vide d’un stylo à bille en métal et le mit dans le four. Après l’avoir laissé « incuber » dans le four assez longtemps, il enleva le stylo, l’ouvrit et, comme un poussin sortant de son œuf, un nouveau crayon rose était né, un peu bizarre de forme, mais néanmoins un crayon rose utilisable.
J’étais complètement excitée. Je dansais dans les rayons de soleil de la cuisine avec mon nouveau crayon rose.
« Est-ce-que je peux faire plus de couleurs ? » demandai-je pour que mon père reste avec moi dans la cuisine ensoleillée.
Nous répétâmes l’expérience, mélangeant différentes couleurs de crayon pour en faire de nouvelles. Parfois, pendant que j’attendais que tel ou tel crayon cuise, je remarquais que mon père avait l’air triste, le regard fixé au fond de choses que je ne pouvais voir. Mais, ensuite, je tirais sur sa main et insistais qu’il était temps de « voir plus de couleurs de l’arc-en-ciel » et de faire plus de crayons. Mon père se leva et fit fondre ensemble un Crayola jaune et un autre vert sapin pour faire du vert chartreuse, puis un crayon jaune et un autre rouge pour faire de l’orange soleil.
Une idée me vint : si nous pouvons faire de nouvelles couleurs si merveilleuses simplement en mélangeant deux crayons, imaginez la couleur magnifique que l’on pourrait faire si nous combinions tous les crayons colorés. Je demandai à mon père si nous pouvions faire un crayon composé de toutes les couleurs de ma boîte à crayons.
Il hésita un instant, puis dit : « Eh bien, nous allons faire une expérience. Et nous verrons ce qui va se passer. » Alors, il râpa et fit fondre tout le reste de mes crayons, faisant des confettis de crayons de toutes les couleurs, qui devinrent ensuite des rubans de liquide coloré dans la casserole. Après avoir versé ce liquide dans le corps d’un stylo, nous attendîmes car mon père disait : « Celui-là va prendre plus longtemps à cuire. » Il se rendit dans le salon et s’assit dans son fauteuil.
« Papa, papa, viens voir les couleurs de l’arc-en-ciel, viens voir les couleurs de l’arc-en-ciel !» Je scandais cette tirade sans arrêt, tout en courant entre le salon et la cuisine.
Au bout d’un moment, mon père me laissa l’attirer vers la cuisinière. Il sortit le corps du stylo du four et l’ouvrit ; à ma grande déception, ce qui émergea n’était pas l’une des « couleurs de l’arc-en-ciel » magnifiques à laquelle je m’attendais, mais tout simplement un crayon noir.
« Papa, pourquoi ?, demandai-je. Pourquoi simplement noir ?
– Lorsque tu mélanges toutes les couleurs ensemble, me répondit gentiment mon père en voyant ma déception, tu obtiens du noir. »
Mon esprit d’enfant associa alors le fait que les rubans prometteurs de couleur devenaient noirs à la tristesse de mon père.
Tout le reste de la journée, je restais assise à ma petite table rouge, coloriant furieusement avec mon crayon noir, remplissant le papier à dessin d’un fond noir sur lequel je dessinais des images de mot aux couleurs vives. En fait, c’était la manière dont l’image des mots m’apparaissait : des modèles lumineux et colorés, surgissant de l'obscurité, évoqués par les sons des mots.
Plus tard, ce jour-là, je montrais à mon père toutes les images pleines de couleurs que j’avais dessinées avec mes crayons. Il ne m’est jamais venu à l’esprit de lui dire qu’elles représentaient des mots. C’étaient tout simplement « mes dessins ». Je me souviens très bien d’aimer le son du mot « dessin » et d’en tracer également une image. Mais maintenant, j’ai simplement un souvenir vague de tout cela ou de tout ce à quoi ressemblaient ces images de mot.
Certaines personnes m’ont demandé pourquoi je n’ai jamais mentionné mes mots colorés lorsque j’étais enfant. Il ne m’est jamais venu à l’esprit d’en parler. Ils faisaient simplement partie du monde que j’étais en train de découvrir. À cet âge, les occurrences variées étaient inextricablement tissées ensemble pour créer un seul modèle d’expérience vécue. Je n’ai jamais pensé à analyser ce modèle et à décrire les images qui apparaissaient dans mon esprit comme si elles étaient quelque chose d’inhabituel. Je n’avais eu l’idée qu’elles étaient inhabituelles. La vision de ces images a toujours fait partie de mon expérience liée à l’entente des mots, et je n’ai jamais eu l’idée de me demander si d’autres gens entendaient des mots sous forme d’images colorées. Je pensais seulement que les images qui apparaissaient dans mon esprit étaient jolies et je voulais les dessiner pour égayer mon père.
Maintenant, toutefois, ces jolies images de mot n’existent plus que dans mes souvenirs flous. De nombreuses personnes qui connaissent une forte synesthésie dans leur enfance, la perdent lorsqu’ils deviennent adultes. La raison peut en être en partie psychologique. Au fur et à mesure que le cerveau mûrit, il délimite clairement ses réponses sensorielles en « cette vison », « ce son », « cette odeur », « ce goût » et « ce toucher ». Les réponses sensorielles ne se chevauchent plus. Mais les cerveaux encore immatures des bébés semblent fonctionner très différemment. La chercheuse, Daphne Maurer, nous dit que les bébés de moins de six mois ont tous des réponses synesthétiques car le cerveau n’a pas encore catégorisé ses fonctions en des compartiments distincts qui répondent séparément aux stimuli visuel, auditif, olfactif, gustatif et tactile. Le jeune nourrisson n’isole pas l’expérience en des composants sensoriels distincts. Comme Maurer l’écrit dans un article intitulé « Neonatal Synesthesia » (synesthésie néonatale),
Les sens d’un nouveau-né ne sont pas bien différenciés, mais
sont plutôt entremêlés dans une confusion synesthétique.
Dans leur livre, The World of the Newborn (le monde du nouveau-né), Daphne et Charles Maurer décrivent ainsi l’expérience sensorielle du nourrisson :
Pour lui, son monde sent à peu près comme le nôtre sent pour nous, mais il ne perçoit pas les odeurs comme uniquement traversant son nez. Il entend et voit les odeurs, il les touche aussi. Son monde est un mélange d’arômes âcres, de sons âcres et d’autres à l’odeur amère, de visions au goût sucré et de pressions à l’odeur acide contre la peau. Si nous pouvions visiter le monde d’un nouveau-né, nous nous croirions nous-mêmes à l’intérieur d’une parfumerie hallucinatoire.
Les nourrissons perçoivent des modèles entiers d’énergie, au lieu de modèles distincts filtrés par l’un ou l’autre des cinq sens.
Toutefois, avec le temps, le cerveau développe et compartimente ses fonctions, et la fusion synesthétique de la petite enfance fait place aux expériences sensorielles distinctes de l’enfance plus tardive et de l’âge adulte. Une théorie, qui peut expliquer la raison pour laquelle certains adultes possèdent l’une ou l’autre forme de synesthésie, repose sur le fait que l'isolement des fonctions ne s’effectue pas complètement chez certaines personnes. À cause de ce processus de développement incomplet, le cerveau absorbe l’expérience sensorielle d’une manière partiellement mélangée, les sons fusionnant avec la vue, la vue avec le toucher, le toucher avec le goût et le goût avec les formes. Tout un éventail d’expériences synesthétiques sont possibles et, au cours des siècles, leurs compte rendus ont réussi à faire surface non seulement dans les journaux scientifiques, mais aussi dans les poèmes, les romans et même les livres d’enfants.
Une fusion synesthétique du son et du goût est représentée de façon imaginative par Norton Juster dans son livre pour enfants bien connu, The Phantom Toll Booth (le poste de péage fantôme). Un chapitre décrit un marché où des caisses remplies de lettres de l’alphabet sont en vente. Les clients achètent des lettres pour faire des mots, mais aussi pour les goûter. Comme le dit au personnage Milo, « l’homme aux lettres » qui les vend :
« Tenez, goûtez un A, ils sont très bons. »
Milo grignote prudemment la lettre et découvre qu’effectivement elle est très sucrée et délicieuse, juste comme un A est supposé goûter.
« Je savais que vous l’aimeriez, dit en riant l’homme aux lettres qui fourre deux G et un R dans sa bouche, et laisse le jus dégouliner sur son menton. Les A sont l’une de nos lettres les plus populaires. Toutes ne sont pas bonnes, confie-t-il à voix basse. Les Z, par exemple, sont très secs et ont le goût de sciure. Et les X ? Eh bien, ils ont le goût d’un coffre plein d’air vicié. Mais la plupart des autres lettres sont assez bonnes…»
De telles descriptions synesthétiques semblent peut-être familières aux jeunes lecteurs dans la mesure où, eux-mêmes, ont fait l’expérience de ces mélanges de perceptions dans le passé encore assez proche de leur enfance. La chercheuse Daphne Maurer a mené une série d’expériences révélant que les nourrissons ne font pas de distinction entre les stimuli visuel et auditif, mais distinguent seulement l’intensité du stimulus, quel que soit son type. Dans l’une de ces expériences, des bébés d’un mois ne faisaient aucune distinction entre un éclair de lumière et une explosion de bruits blancs d’intensité comparable. Les mesures des battements de cœur des bébés ont indiqué qu’ils réagissaient comme s’ils répondaient à un seul stimulus, ne répondant qu’aux changements d’intensité. Le fait que le changement d’intensité avait lieu pour la lumière ou le bruit n'avait aucune importance, car ceux-ci étaient reçus par les bébés comme s’il s’agissait du même stimulus. Tant que la lumière ou le bruit conservait des niveaux d’intensité similaires, la fréquence cardiaque des bébés restait également à un niveau constant. Mais, si l’intensité de l’un ou de l’autre des stimuli augmentait ou diminuait, le rythme des battements de cœur des bébés changeait en conséquence. Un changement du type de stimulus uniquement, par exemple le passage du stimulus visuel au stimulus auditif, ne produisait aucun changement dans la réponse des bébés. Ce résultat a surpris les personnes se livrant aux expériences, car il était très différent de la façon dont les enfants plus âgés ou les adultes auraient répondu. Ces derniers démontrent une réponse distincte à la vision de la lumière et une autre à l’audition du son ; les battements de cœur changeant parallèlement à un changement du mode sensoriel, même si ces différents modes de stimulus ont des niveaux d’intensité correspondants. Mais les bébés observés dans cette expérience ont répondu comme si un seul stimulus sensoriel leur était présenté, l’un étant la lumière et l’autre, le son.
Exactement de la même manière que les jeunes bébés perçoivent la vie comme un mélange sensoriel, les jeunes enfants la perçoivent comme un modèle intégré qu’ils n’ont pas l’idée de questionner, mais simplement de vivre. Les enfants connaissent des expériences qu’ils acceptent telles quelles et qu’ils ne pensent pas à décrire aux adultes. C’est pourquoi de nombreux parents ne savent jamais que leurs enfants sont des synesthètes, et que de nombreux synesthètes ne savent pas que leur forme de perception est inhabituelle jusqu’à ce qu’ils deviennent adultes, et dans certains cas, ne découvrent jamais tout au long de leur vie que leurs perceptions diffèrent de la norme.
Comme mentionné plus haut, certains synesthètes adultes indiquent que leur synesthésie devient moins intense avec l’âge. Pourquoi ne puis-je plus me souvenir de mes images de mot ? Je pense qu’elles ont commencé à disparaître lorsque j’ai commencé à apprendre l’alphabet, la représentation du langage sanctionnée socialement. Je me souviens qu’à l’âge de trois ou quatre ans, j’étais fascinée par les mots écrits et les lettres de l’alphabet que je voyais sur les bocaux de café et les boîtes de céréales qui se trouvaient sur notre table de cuisine. J’étais assise là avec un crayon, les copiant sur du papier à dessin comme s'il s’agissait d’images. Je copiais « Café Maxwell House : bon jusqu’à la dernière goutte » de son bocal à l’étiquette rouge et « Tarte aux pommes Jane Parker : si bonne qu’elle vous met l’eau à la bouche » de sa boîte plate, bleue et blanche. Je ne pouvais pas lire les mots que je copiais ; à cet âge, je ne pouvais lire que quelques lettres de l’alphabet, mais pas encore de mot. Je me souviens que ce que je désirais le plus au monde c’était d’être assez grande pour pouvoir aller à l’école et apprendre à lire les mots que je copiais. Mon père et ma mère m’encourageaient à copier ainsi les mots et les lettres, et je me souviens qu’ils chantaient toujours la chanson de l’alphabet avec moi, pendant que je les copiais. Pendant très longtemps, la chanson « A- B- C-D-E-F-G/-H-I-J-K/-LMNO/-P » m’a fait penser que « lmno » était le nom d’une seule lettre. Je me souviens que mes parents riaient tous les deux lorsque je leur demandais : « Comment écrivez-vous lmno ? » Je me souviens encore que, dans mon esprit, « lmno » prenait la forme d’un dessin abstrait, ressemblant à un oiseau anguleux, jaune et marron, avec un bec triangulaire.
Toutes les lettres de l’alphabet que j’apprenais prenaient immédiatement des couleurs. Je me demande parfois s’il y avait une connexion entre les couleurs de mes images de mots originales et les couleurs évoquées par le son des lettres de l’alphabet, et j’aimerais pouvoir me souvenir suffisamment de ces images pour pouvoir comparer les couleurs.
Il m’a fallu très longtemps pour dessiner la lettre R. J’essayais sans arrêt, mais je n’y arrivais tout simplement pas. Mon père, voyant ma frustration, me montrait et remontrait patiemment comment faire, mais je n’arrivais pas à l’imiter. Et puis, un jour, après avoir longtemps regardé la lettre R, j’ai remarqué que sa forme était très similaire à celle de la lettre P. La seule différence entre les deux lettres était qu’une ligne oblique descendait de la « tête » du P. Cela signifiait que si je pouvais faire un P, je pouvais faire un R. Excitée, je retins mon souffle tout en prenant mon crayon et je fis un P, puis je dessinai une ligne oblique descendante à partir de sa boucle. Et ma théorie marcha : j’avais dessiné un R ! Et à la différence de la lettre jaune P, sa couleur était orange. J’étais émerveillée par le fait qu’une lettre jaune pouvait devenir une lettre orange simplement si je dessinais une ligne de plus !
« Papa, papa, viens voir, j’ai fait un R ! » Mon père se précipita vers ma petite table rouge. Là, au milieu d’une pile de dessins, représentant des images de mot et de pages couvertes des lettres de l’alphabet, se trouvait mon R : un petit peu tremblant, peut-être, avec des lignes qui étaient plus tordues que droites, mais indiscutablement un R. Mon père se mit à sourire largement, et heureux pour moi, satisfait de voir que son instruction avait porté ses fruits, il me hissa sur ses épaules pour célébrer le succès avec une petite course à dos d’homme.
Et pendant que nous sautions autour de la petite table rouge, mes yeux sont tombés sur notre crayon noir fait maison, qui n’était désormais plus l’effaceur décevant de toutes les couleurs, mais tout simplement leur cachette.
Blue Cats and Chartreuse Kittens: How Synesthetes Color their Worlds (chats bleus et chatons chartreux : comment les synesthètes colorent leur monde)
(originellement publié par Henry Holt & Company 2001)
Droits détenus par Patricia Lynne Duffy
Traduit par Bernadette Josephs
Copyright © 2011 Patricia Lynne Duffy. All Rights Reserved. Tous droits réservés
Chats bleus et chatons chartreux: comment les synesthetes colorent leur monde
par Patricia Lynne Duffy
Prologue
« Le cerveau est plus spacieux que le Ciel –
Car – mettez-les cote a cote –
L’un contiendra l’autre sans peine-
Et Vous – de surcroit -. »
-- Emily Dickinson
Español
Un extracto del libro original en inglés
Extracto de
Blue Cats and Chartreuse Kittens: How Synesthetes Color their Worlds
(Gatos Azules y Gatitos Verde Manzana: Cómo los Sinestetas Dan Color a Su Mundo)
(Copyright © Patrica Lynne Duffy, 2008. Todos derechos reervados.)
Prólogo
“El cerebro es más grande que el cielo, porque si pones uno junto al otro
El primero contendrá al segundo con facilidad,
Y a ti además” -- Emily Dickinson
Yo tenía dieciséis años cuando lo descubrí. Era el año 1968. Mi padre y yo estábamos en la cocina, él en el lugar desde donde siempre me hablaba, junto a la puerta de la alacena; yo, con mis dieciséis años, sentada junto a la ventana. Los dos estábamos recordando el tiempo en que yo era una niñita, que aprendía a escribir las letras del alfabeto. Recordábamos que, con su ayuda, yo había aprendido a escribir todas las letras muy rápido, excepto la letra 'R'.
"Hasta que un día", le dije a mi padre, "me di cuenta que para trazar una 'R' todo lo que tenía que hacer era escribir primero una 'P' y luego bajar una línea desde el rulo de la 'P'. Y yo estaba tan sorprendida de que hubiera podido transformar una letra amarilla en una letra anaranjada, con sólo agregar una línea".
"¿Letra amarilla? ¿Letra anaranjada?" se sorprendió entonces mi padre, "¿qué estás diciendo?"
"Bueno, ya sabes", dije yo. "La 'P' es una letra amarilla, pero la 'R' es una letra anaranjada. Ya sabes, los colores de las letras."
"¿Los colores de las letras?" preguntó mi padre.
El tema no había surgido antes en ninguna conversación. Nunca se me había ocurrido mencionárselo a nadie. Desde que yo podía acordarme, cada letra del alfabeto tenía un color diferente. Cada palabra tenía un color diferente; y también cada número. Los colores de las letras, palabras y números eran tan intrínsecos a ellos como sus formas y, al igual que sus formas, los colores nunca cambiaban. Aparecían naturalmente y yo no podía modificarlos.
Yo había dado por sentado que todo el mundo tenía las mismas percepciones que yo. La perplejidad de mi padre fue una reacción totalmente inesperada. Desde mi punto de vista, yo había hecho un comentario tan perfectamente normal como 'las manzanas son rojas' y 'las hojas son verdes' y me encontraba con una respuesta de total sorpresa. Entonces yo no sabía que ver cosas como 'pes' amarillas y 'eres' anaranjadas, 'bes' verdes, 'cincos' violetas, 'lunes' marrones y 'jueves' turquesa era una característica privativa de una de cada dos mil personas que, como yo, son portadoras de un extraño fenómeno neurológico llamado 'sinestesia'. En la sinestesia, cuando uno de los cinco sentidos es estimulado, responde ese sentido más otro. Esto puede hacer que los 'sinestetas' experimenten sensaciones tan peculiarmente amalgamadas que las palabras y los sonidos tengan colores y aun sabores y que los sabores tengan formas. Cuando ya era un poco mayor, leí sobre sinestetas tales como Michael Watson (sobre quien el neurólogo Richard Cytowic escribió en su libro, El Hombre que Saboreaba las Formas). Otro sinesteta dijo que el nombre 'Fracis' tenía 'el sabor de los porotos horneados'; otro artista, Carol Steen, dice que los fuertes dolores de cabeza provocados por sinusitis son de un 'anaranjado violento' mientras que los más leves son 'sólo verdes'. En la última década, más o menos, los neurocientíficos que, en su mayoría, trabajan en la Universidad de Cambridge en Inglaterra han realizado estudios que indican que la sinestesia podría ser transmitida en los genes, y produce un raro patrón de neuronas en el cerebro que hacen que, en los sinestetas, la vista se cruce con el oído, o el gusto se cruce con el tacto.
Pero como hasta ese día en la cocina, ni mi padre ni yo sabíamos nada de la sinestesia, ambos quedamos desconcertados. El desconcierto aumentó cuando él supo que su hija no sólo veía las letras de colores sino también los números y las unidades de tiempo: una semana era una acera de colores con siete cuadrados de baldosas, una para cada día y el año era una cadena oblonga de doce rectángulos de colores. Mi padre se sorprendía con mis descripciones y yo me sorprendía de su sorpresa. Para mí, aquel fue uno de esos momentos iniciáticos, en que vislumbré que el mundo podría no ser como yo lo había percibido hasta ese momento. Fue uno de esos momentos en que la pregunta más básica que une socialmente a los seres humanos --¿Ves tú lo que yo veo?-- parece suspendida en el vacío, independiente de cualquier contexto en común.
Repentinamente me sentí abandonada en mi isla privada de 'ces' azul marino, 'des' marrón oscuro, 'sietes' verde brillante y 'ves' color borravino. ¿Qué otra cosa veía yo de un modo diferente de todo el mundo?, me preguntaba. ¿Qué veían los demás que yo no veía de la misma forma? Se me ocurrió que quizás cada persona en el mundo tiene una pequeña rareza en su percepción, de la que no es consciente, y que la coloca en una isla propia, misteriosamente separada de los demás. De pronto se me reveló el vertiginoso sentimiento de que podría haber tantas de estas 'islas' privadas como seres hay en el mundo.
Aquella conversación con mi padre en la cocina, lo impulsó a buscar por todos los medios, en librerías y en bibliotecas, alguna información que explicara las peculiaridades de la percepción de su hija. Su búsqueda lo llevó a la 'sinestesia' la palabra mágica que colocó a mis percepciones en el mapa del terreno conocido de la experiencia humana. Encontró la referencia a la sinestesia en un artículo sobre meditación, en un ejemplar de Yoga Digest, en una librería de libros usados. Posteriormente, mi padre y yo hallamos que otros habían transitado el territorio de la sinestesia: El poeta francés del siglo diecinueve Arthur Rimbaud escribió el "Soneto de las Vocales" sobre la visión de vocales de colores; uno de los mayores novelistas del siglo veinte, Vladimir Nabokov, describió su alfabeto de colores en su autobiografía Habla, Memoria; los compositores Franz Liszt y Olivier Messaien veían las notas musicales de colores, lo que este último celebró en composiciones tales como "Los Colores del Tiempo"); el pintor David Hockney describió de qué manera el oír "música de colores" lo ayudaba a diseñar los escenarios de la Metropolitan Opera; la artista Carol Steen expresa sus percepciones sinestésicas en la escultura y la pintura; y el físico Richard Feynman describió las ecuaciones coloreadas que lo ayudaron a formular la teoría cuántica que lo llevó a ganar el Premio Nobel.
Mentes mucho menos impresionantes han tenido una experiencia sinestésica del mundo, pero aquellos que la tienen tienden a mantener el silencio sobre sus percepciones, puesto que los inhibe el hecho de que tanta gente jamás ha experimentado la sinestesia y ni ha oído hablar de ella. Los sinestetas nos damos cuenta pronto de que para la mayoría de las personas nuestras percepciones son sólo estrafalarias, y hasta sospechosas. Otros no ven los que vemos y no podemos convencerlos de que nosotros lo vemos así.
Durante varios siglos, los científicos no sabían cómo interpretar los extraños informes de los sinestetas: pudiendo valerse sólo de anécdotas, todo intento de investigación se veía detenido. Aun el científico del siglo diecinueve, Sir Francis Galton, quien en verdad dedicó mucho tiempo al estudio de los informes sobre las percepciones sinestésicas, inicialmente proclamó que "Cada uno de esos relatos es más lunático que el otro". Ahora que la ciencia tiene la tecnología para mirar dentro del cerebro y observar su actividad, se han retomado los estudios de la sinestesia. Hoy en día, los científicos de los grandes institutos y universidades, como por ejemplo, la Universidad de Yale, la Universidad de California, el Instituto de Tecnología de Massachussets, la Universidad de Granada, la Universidad de Waterloo, y la Universidad de Cambridge, ansiosos por conocer los secretos que la sinestesia puede revelar sobre el cerebro humano, están explorando el cerebro de los sinestetas con escáners de alta tecnología.
En 1993, mi esposo Josh encontró casualmente un artículo sobre estas recientes investigaciones sobre la sinestesia en la revista de, créase o no, the Economist. Pasándome distraídamente el artículo me dijo "¿No es esto lo que tú tienes?" El informe, titulado "Prosa Morada" (escrito por Aliso Motluck, también ella una sinesteta), se refería a investigaciones del Instituto de Psiquiatría de Londres, en el que el Dr. Simon Baron-Cohen encabezaba un equipo de neurocientíficos que ha hallado que en el cerebro de los sinestetas ocurre algo significativamente diferente. Escribí inmediatamente al Dr. Baron-Cohen, y hasta realicé una "peregrinación" a Londres para encontrarme con él, el verano siguiente. Tomando una taza de té en su oficina de Denmark Hill, Londres, el Dr. Baron-Cohen me comentó que los sinestetas que ven el lenguaje de colores, procesan el lenguaje y los sonidos en una parte del cerebro que normalmente está reservada para el procesamiento de información visual. Me presentó a la Asociación Internacional de Sinestesia (AIS), que había patrocinado jornadas con presentaciones de sinestetas e investigadores. Rápidamente me afilié a la AIS y, varios años más tarde, fui a Inglaterra para una de sus jornadas, llevada a cabo en la Universidad de Cambridge.
Alrededor de cincuenta sinestetas se reunieron en el seminario de Cambridge para escuchar presentaciones en las cuales nuestras percepciones estaban ataviadas en los dignos atuendos de "hallazgos" científicos. Los investigadores informaron que las descripciones de los sinestetas tenían algunas características en común: Para una gran mayoría, las palabras adquieren el color de la letra inicial, casi todos ven las letras 'o', 'l' y 'u' en el mismo rango de color (blanco, blanco a gris claro y amarillo a marrón claro, respectivamente). También nos enteramos de que se estaba estudiando una posible base genética para la sinestesia, ya que el fenómeno tiende a repetirse en miembros de una misma familia. Los investigadores nos dijeron que mediante el estudio de la sinestesia, ellos esperaban adquirir mayor conocimiento de los misteriosos mecanismos del cerebro humano y, quizás, de la forma en que las personas, con o sin sinestesia, filtran sus percepciones y "dan color" a su mundo.
Los sinestetas que charlaban durante la recepción con té y bizcochos en el elegante salón "Old Combination" de Cambridge, se manifestaban encantados. "Siento que he sido convalidado" era la frase más oída. Estaban allí personas a quienes, por muchos años, sus familiares, amigos y colegas les habían dicho que sus percepciones de sonidos coloreados eras "tontos", "superficiales" o, peor aun, "inventados". La mayoría de ellos ya hacía tiempo que había dejado de intentar compartir esas percepciones con los demás. Como me confesó una dama de Cambridge de mediana edad y hablar pausado: "Cuando era pequeña, la primera vez que dije que el nombre de cada persona tenía un color, me respondieron que yo debía se muy estúpida o muy tonta para decir una cosa así". Ya adulta, ella estaba encantada de ser parte de la investigación sobre sinestesia de la Universidad.
No debe sorprender el sentido de alivio por la auto validación que la mayoría sintió ese día si se considera cuánto hay involucrado en la pregunta "¿Ves tú lo que yo veo?" dirigida a aquellos con quienes nos casaremos y los que serán nuestros amigos y aliados en el trabajo. Es una de las preguntas fundamentales que nos impulsan en la vida y que nos llevan a compartir momentos con otra gente, reforzando nuestro sentido de quiénes somos y qué es el mundo.
En casa, en Nueva York, y lejos de la reunión de sinestetas de Cambridge, recurro a la Internet, el gran validador de la percepción no estándar. Al conectarme al sitio web sobre sinestesia del MIT, me doy cuenta de que estoy retomando la conversación con mi padre que había comenzado en 1968.
Mucho tiempo antes de que existiera la Internet y prestigiosas universidades dignificaran el estudio de la sinestesia con congresos y sitios web, mi padre por sí solo convalidó lo que yo veía. Como él estaba convencido de que había alguna lógica interna en las inusuales percepciones de su hija, estuvo bien dispuesto para aceptar esa suspensión del descreimiento que se necesita para que una visión se abra a otra.
Hace unos meses yo estaba revisando un cajón en la misma cocina en la que mi padre y yo habíamos tenido aquella conversación sobre mi alfabeto con colores, tantos años atrás. Encontré un dibujo que había hecho a los siete años al que había dado el título de "Gatos Azules para Papá". Al dorso, en una nota que mi padre fechó 5/68, escribió: "Actualización sobre la obra de Patty: Acaba de decirme que 'gato' es una palabra azul. Ahora sé por qué estos gatos son azules."
Capítulo 1
‘Los colores se esconden detrás de todo, hasta detrás de la noche’.
-Katherine Vaz, Saudade
Desde que tengo memoria, las letras del alfabeto, los números y las palabras tienen color. Pero también recuerdo que antes de que supiera leer y escribir, cada palabra evocaba, en el ojo de mi mente, su diseño colorido exclusivo e inalterable. Algunas veces yo hacía el dibujo de las palabras que 'veía' y se lo mostraba a mi padre, como hacía con todos mis dibujos.
En esa época mi padre estaba mucho en casa. Primero, tomó licencia de su trabajo para cuidar de su padre, que había caído en depresión por la edad y las enfermedades. Después, cuando su padre murió, mi padre, a su vez, cayó en depresión. Mi madre me dijo que tratara de alegrar a mi padre. Creo que nuestros experimentos con el color ayudaron.
Recuerdo a mi padre sentado en el gran sillón verde y vencido de la sala de estar, con el codo sobre el posa-brazo, y la barbilla apoyada en la mano. Yo tiraba de esa mano con la insistencia de mis cuatro años, decidida a hacerle preguntas sobre mis crayones. Necesitaba un color que no estaba en mi caja de crayones. ¿Qué podía hacer? Cuando era pequeña, dibujaba mucho y los crayones jugaban un papel importante en mi vida. Ante mi insistencia, mi padre se dejaba levantar de su desvencijado sillón verde, lleno de cosas, hacia mi pequeña mesa rojo brillante, sobre la que cada día yo hacía toda clase dibujos. La mesa de la pequeña niña, siempre estaba rebosante de papel de dibujo y crayones de diferentes colores, tamaños y medidas. 'Pero no tengo el rosa', le decía a mi papá, 'y necesito el rosa'. El color rosa era importante ese día. Yo estaba haciendo el dibujo de una palabra --no recuerdo cuál sería-- pero recuerdo que tenía mucho rosa en su diseño.
Me gustaba hacer los diseños de las palabras que aparecían ante el ojo de mi mente cuando oía pronunciar las palabras. Nunca pensé decirle a nadie que esos dibujos eran figuras de palabras. Eran sólo mis 'diseños'. Los diseños eran muy coherentes; cada uno tenía todo un conjunto de formas y colores, como los patrones de un caleidoscopio. La palabra que yo estaba dibujando ese día tenía mucho rosa en su juego de colores.
'Si no tienes rosa', decía mi padre, 'podrías usar el crayón rojo'. 'Sólo colorea muy suavemente para que se vea casi como el rosa'.
'No', decía yo. 'Necesito el rosa'.
Mi padre se veía fatigado. En esa época, no podía dormir bien de noche y a menudo se lo veía muy cansado todo el día. Por un momento, pensé que iba a dejarme y retornar a su sillón de la sala de estar. Pero yo necesitaba ayuda con los colores, así que sabía que se quedaría.
‘Necesito eI rosa, Papi', dije otra vez.
'Bueno', dijo mi padre, 'Quizás podríamos hacer el rosa con tu crayón rojo y tu crayón blanco'.
'¿Hacer el rosa?', pregunté.
‘Sí', dijo mi padre. 'Si pones dos colores juntos, puedes hacer un color diferente'.
'¿Un color totalmente nuevo?', repetí maravillada. '¿Podemos hacer el rosa?' Parecía magia. Mi fervor de niña retuvo a mi padre allí, junto a la mesita roja e impidió que volviera a su sillón verde-grisáceo. Y hasta me propuso ir a la cocina para realizar un experimento con colores, haciendo crayones nuevos, de nuevos colores, fundiendo y combinando los crayones de colores de mi caja de colores.
En la cocina, la luz del sol caía a través de la ventana que daba al cerezo del patio, donde los pájaros se posaban a picotear las cerezas rojas. Yo observaba con gran interés a mi padre rallar los crayones con el rallador de verduras de mi madre. De él caían vívidos copos de crayón rojo y blanco al recipiente sobre la hornalla, mientras los gorriones piaban y las sombras del cerezo del patio aleteaban alrededor de nosotros, sobre las paredes de la cocina. Mi padre encendió la hornalla de la cocina y yo miraba maravillada cómo los copos de crayón se volvían un líquido, que él luego virtió en un soporte de bolígrafos de metal vacío, al que colocó en el horno. Luego de 'incubarlo' en el horno por suficiente tiempo, lo retiró, abrió el soporte de bolígrafos y, como si se tratara de gorriones al romper el huevo, allí estaba el nuevo crayón; un poco extraño en su forma, pero, igual, un crayón que se podía utilizar.
Yo estaba encantada. Bailaba a la luz del sol de la cocina con mi nuevo crayón rosa.
'¿Podemos hacer otros colores?' pregunté, deseando que mi padre se quedara conmigo en la cocina iluminada por el sol.
Repetimos el experimento, combinando diferentes crayones para hacer nuevos colores. A veces, mientras esperábamos que un crayón u otro se horneara, yo notaba la mirada triste de mi padre, fija en las profundidades de algo que yo no podía ver. Pero entonces, yo tiraba de su mano e insistía en que era hora de 'ver más colores del arco iris' y hacer más crayones. Mi padre se levantaba y derretía un crayón amarillo junto con otro, verde hoja, para hornear un verde manzana, y luego derretía un amarillo con un rojo para obtener el anaranjado del sol.
Se me ocurrió una idea: si podíamos hacer esos maravillosos nuevos colores con sólo derretir dos crayones juntos, cómo no imaginar el magnífico color que podríamos hacer si combinábamos todos los crayones. Pregunté a mi padre si podíamos hacer un crayón compuesto de todos los crayones de mi caja.
Él vaciló un momento y luego dijo: 'Bueno, haremos un experimento. Veremos qué pasa'. Entonces, ralló y derritió todos los crayones que quedaban como si fueran papel picado de muchos colores, los que luego se hicieron remolinos de líquidos de colores en el recipiente. Después de verter este líquido en el soporte para bolígrafos, esperamos, porque, dijo mi padre 'Éste tardará más en hornearse'. Él se fue a la sala de estar y se sentó en su sillón.
'¡Papi, papi, ven a ver los colores del arco iris, ven a ver los colores del arco iris!, yo repetía mientras iba y venía entre la sala y la cocina.
Después de un tiempo, mi padre me permitió llevarlo a la cocina otra vez. Sacó el soporte de bolígrafos del horno y lo abrió; para mi sorpresa y desilusión, lo que nació no era el magnífico 'color arco iris' que yo esperaba, sino pura y simplemente, un crayón negro común y corriente.
'¿Por qué, Papi?', le pregunté. '¿Por qué sólo negro?'
'Cuando pones todos los colores juntos', dijo mi padre cariñosamente al ver mi decepción, 'lo que obtienes es el negro'.
Mi mente infantil conectó la conversión de los prometedores remolinos de colores en negro con la tristeza de mi padre.
Durante el resto del día, sentada en mi mesita roja, pinté furiosamente con mi crayón negro, llené hojas de papel de dibujo con fondos negros, sobre los que yo dibujaba mis diseños de palabras de colores brillantes. En realidad, así era como el ojo de mi mente veía los diseños de las palabras: patrones luminosos y coloridos que aparecían de la negrura, evocados por el sonido de las palabras.
Más tarde ese día, mostré a mi padre todos los diseños de colores que había dibujado con mis crayones; nunca se me ocurrió decirle que esos eran dibujos de palabras. Era, simplemente, 'mis diseños'. Recuerdo que me gustaba mucho el sonido de la palabra 'diseño' y que la dibujé también. Pero ahora me quedan recuerdos muy vagos de cómo se veía cualquiera de esos diseños de palabras.
Me han preguntado porqué nunca mencioné mis palabras con colores cuando era niña. Nunca se me ocurrió hablar de ellas. Eran simplemente parte del mundo que yo estaba descubriendo. A esa edad, diferentes acontecimientos quedaban unidos inextricablemente para formar una sola unidad de experiencia vivida. Nunca se me ocurrió descomponer esa unidad, describir los diseños que aparecían en mi cabeza como si fueran algo inusual. Ver diseños siempre había sido parte de mi experiencia de oír palabras, y nunca se me ocurrió preguntarme si los demás oían las palabras en la forma de diseños de colores. Simplemente, pensaba que los diseños de mi mente eran bonitos y yo quería dibujarlos para que mi padre estuviera contento.
Ahora, sin embargo, los bonitos diseños de las palabras sólo existen como débiles recuerdos. Muchas personas que experimentan fuertes fenómenos de sinestesia en la niñez, pierden esa capacidad en la edad adulta. La razón de esto podría ser, en parte, fisiológica. A medida que el cerebro madura, demarca claramente sus respuestas sensoriales dividiéndolas en 'esto es vista', 'esto es sonido', 'esto es olor', esto es sabor' y 'esto es tacto'. Las respuestas sensoriales ya no se superponen. Pero el aún inmaduro cerebro de los bebés parece operar de un modo muy distinto. La investigadora Daphne Maurer, nos dice que los bebés de menos de seis meses tienen todos respuestas sinestésicas porque el cerebro no ha diferenciado aún sus funciones en compartimientos que responden separadamente a estímulos visuales, auditivos, olfativos, gustativos o táctiles. El lactante no puede segregar las experiencias en componentes sensoriales discretos. Como Maurer escribe en un artículo titulado 'Sinestesia Neonatal',
Los sentidos del recién nacido no están bien diferenciados,
más bien están entremezclados en una confusión sinestésica.
En su libro El Mundo del Recién Nacido, Daphne y Charles Maurer describen la experiencia sensorial del lactante en esta forma:
El olor de su mundo es para él bastante similar al olor que nosotros percibimos de nuestro mundo, pero él no percibe los olores como si vinieran sólo a través de su nariz. Oye olores, ve olores, y también los siente. Su mundo es un tumulto de aromas acres --y sonidos punzantes, y sonidos de olor amargo, y visiones de olor dulce y presiones de olor ácido contra su piel. Si pudiéramos visitar el mundo del recién nacido, nos sentiríamos dentro de una perfumería alucinatoria.
Los bebés perciben patrones totales de energía, antes que patrones diferentes filtrados a través de uno u otro de los cinco sentidos.
Con el tiempo, sin embargo, el cerebro desarrolla y compartimenta sus funciones y la fusión sinestésica de la infancia deja lugar a las experiencias sensoriales diferenciadas de la niñez más avanzada y la edad adulta. Una teoría de por qué algunos adultos tienen una forma u otra de sinestesia, es que la segregación de funciones no tiene lugar en forma completa en algunas personas. Este proceso de desarrollo incompleto, entonces, hace que el cerebro adquiera la experiencia sensorial de una manera parcialmente combinada, en la que el sonido se fusiona con la vista, la vista se fusiona con el tacto, el tacto se fusiona con el gusto, el gusto se fusiona con la forma. Es posible una gama completa de experiencias sinestésicas y, por siglos, los informes sobre ellas han llegado no sólo a publicaciones científicas, sino también a poemas, novelas y aun libros para niños.
Norton Juster, representó imaginativamente una fusión sinestésica de sonido y gusto en su conocido libro para niños La Caseta Fantasma. Un capítulo describe un mercado donde se venden carradas de letras del alfabeto. Los compradores compran las letras para hacer palabras, pero también para saborearlas. El 'hombre de las letras' le dice al personaje, Milo:
'Toma, saborea una 'A'; saben muy bien'.
Milo mordió con cuidado la letra y se dio cuenta de que era bastante dulce y deliciosa -exactamente como se esperaría que fuera el sabor de una 'A'.
‘Estaba seguro de que te gustaría', rió el vendedor de letras, arrojando dos 'G' y una 'R' a su boca y dejando que el jugo se deslizara por su mentón. Las 'A' son nuestras letras más pedidas. 'No todas son tan buenas', le confió en voz baja. 'Por ejemplo, la Z, muy seca, con gusto a virutas de madera. ¿Y la X? ¡Ugh!, sabe a un arcón de aire rancio... Pero la mayoría son bastante sabrosas....'
Quizás estas descripciones sinestésicas suenen familiares a los lectores jóvenes, ya que no ha pasado tanto tiempo desde que ellos experimentaron estas combinaciones de la percepción. La investigadora Daphne Maurer ha realizado una serie de experiencias que revelan que los bebés no hacen distinción alguna entre los estímulos visuales y auditivos, sino sólo de la intensidad de los estímulos, independientemente de su tipo. En uno de esos experimentos, bebés de un mes no distinguían entre un destello de luz y una ráfaga de sonido blanco de intensidad semejante. Las mediciones del ritmo cardiaco de los bebés indicaban que ellos reaccionaban como si fueran un mismo estímulo y respondían sólo a cambios de intensidad, independientemente de si el cambio de intensidad se producía en la luz o en el ruido, ya que ambos eran experimentados por los bebés como un solo estímulo. En tanto la luz o el sonido se mantenían en niveles de intensidad semejantes, el ritmo cardiaco de los bebés se mantenía también a nivel constante. Pero si la intensidad de la luz o del sonido disminuía o aumentaba, el ritmo cardiaco de los bebés cambiaba. El cambio del tipo de estímulo por sí mismo, por ejemplo, de visual a auditivo, no producía cambio alguno en la respuesta de los bebés. Este resultado sorprendió a los investigadores porque es bastante diferente de cómo responderían niños mayores y adultos. Estos últimos exhiben una respuesta discreta al ver la luz y otra al oír un sonido; los ritmos cardíacos cambian en respuesta a un cambio en el modo sensorial, independientemente de si estos diferentes modos de estímulo tienen niveles de intensidad concordantes. Pero los bebés del experimento respondían como si se los hubiera expuesto a un sólo estímulo sensorial, a pesar de que uno era luz y el otro, sonido.
Del mismo modo que los bebés experimentan la vida como una combinación de sentidos, la experiencia de la vida de los niños pequeños es un patrón integrado que ellos ni piensan en cuestionar, sino sólo en vivir. Los niños tienen experiencias que ellos aceptan y ni piensan en describirlas a los adultos. Es por eso que muchos padres nunca saben que su hijo o hija experimenta el fenómeno de la sinestesia y por eso también que muchos individuos que tienen la experiencia de la sinestesia no se enteran de que su forma de percepción es infrecuente hasta llegar a adultos o, en algunos casos, sin que nunca se den cuenta de que sus percepciones se apartan de la norma.
Como lo mencionara anteriormente, algunos sinestetas informan que la experiencia sinestésica se vuelve menos intensa al llegar a la edad adulta. ¿Por qué ya no puedo recordar mis diseños de palabras? Creo que empezaron a desaparecer cuando comencé a aprender el alfabeto, la representación socialmente aceptada del lenguaje. Recuerdo que a los tres o cuatro años yo estaba fascinada con las palabras y las letras del alfabeto que veía escritas en los tarros de café y las cajas de cereales que estaban sobre la mesa de la cocina. Me sentaba allí con un lápiz y las copiaba en papel de dibujo como si fueran diseños. Yo copiaba ‘Maxwell House Coffee: Good to the last drop’ de la etiqueta colorada del frasco de café y ‘Jane Parker Apple Pie: Mouth watering good’ de su delgada caja azul y blanca. No sabía leer lo que estaba copiando; a esa edad, yo sólo podía reconocer algunas letras del alfabeto, pero no leer palabras. Recuerdo que lo que más quería era tener edad para ir a la escuela para poder leer las palabras que estaba copiando. Mi padre y mi madre me alentaban a copiar las palabras y las letras y recuerdo que siempre cantaban conmigo la canción del alfabeto mientras yo copiaba. Por muchísimo tiempo, cantar la canción ‘A- B- C-D-E-F-G/-H-I-J-K/-LMNO/-P’ me daba la idea de que 'lmno' era el nombre de una sola letra. Recuerdo que mis padres se rieron cuando les pregunté '¿cómo se escribe una 'lmno'?'. Todavía recuerdo que, para el ojo de mi mente, la 'lmno' tenía la forma de un diseño abstracto, que recordaba a un pájaro anguloso amarillo y marrón con un pico de forma triangular.
Todas las letras del alfabeto que aprendía tenían un color de inmediato. A veces me pregunto si habría alguna conexión entre los colores de mis diseños de palabras originales y los colores evocados por los sonidos de las letras del alfabeto, y desearía poder recordar esos diseños de palabras lo suficiente para comparar los colores.
Me llevó un largo tiempo dibujar la letra 'R'. Probaba una y otra vez, pero no podía sacar el palito colgante. Mi padre, al ver mi frustración, me mostraba y me volvía a mostrar la forma de dibujarla, pero por alguna razón no podía imitarlo. Luego un día, después de observar a la 'R' un buen rato, noté cuán similar era a la 'P'. La única diferencia entre las dos letras era que de la 'cabeza' de la 'P' bajaba una línea inclinada. Esto significaba que si yo podía hacer una 'P', yo podría hacer una 'R'! Sin siquiera respirar, tomé entusiasmada mi lápiz y dibujé una 'P'; luego dibujé la línea inclinada desde su rulo. Y mi teoría funcionó --¡había dibujado una 'R'! Y a diferencia del amarillo pálido de la 'P', su color era anaranjado. ¡Qué maravilla que una letra amarilla pudiera tornarse naranja con sólo dibujar una línea!
'Papi, papi, ven a ver, he hecho una 'R'!' Mi padre se acercó rápidamente a mi mesita colorada. Allí, entre las pilas de dibujos de los diseños de las palabras y páginas de letras del alfabeto escritas a lápiz, estaba mi 'R': un poco titubeante, quizás, con líneas más torcidas que rectas, pero incuestionablemente, una 'R'. A mi padre se le iluminó el rostro con una gran sonrisa y, feliz por mí, feliz de que sus instrucciones hubieran dado resultado, me levantó sobre sus hombros para celebrar el éxito con una vuelta 'a caballito'.
Y mientras saltábamos alrededor de la pequeña mesa roja, mis ojos se posaron sobre el crayón negro que habíamos hecho en casa, y ya no era el decepcionante destructor de todos los colores sino, simplemente, el lugar donde ellos se esconden.
Blue Cats and Chartreuse Kittens: How Synesthetes Color their Worlds
(Gatos azules y gatitos verde manzana: Cómo los sinestetas dan color a su mundo)
(originalmente publicado por Henry Holt & Company 2001)
Propiedad intelectual de Patricia Lynne Duffy
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阅读摘录
摘自《蓝猫和黄绿色小猫:联觉者如何为他们的世界着色》(版权所有 © Patricia Lynne Duffy,2008 年。保留所有权利。) 作者:帕特里夏·林恩·达菲
1968年,当我16岁时,我发现了这个现象。当时我和父亲正在厨房,他和往常一样,在食品柜门旁边和我聊天,而我坐在窗户旁的椅子上。我们两个正在回忆我还是一个小女孩时学习写字母的情景。我们还记得,在父亲的指导下,我学习所有的字母都很快,除了字母R。
我对父亲说:“直到有一天,我意识到,要写字母R,我只要先写P,然后从半圆形与直线相连处起笔,往右下角画一条小斜线。我当时很诧异,我只要加一条线,就能使一个黄色字母变成一个橙色字母。”
我父亲很诧异地问:“你说黄色字母和橙色字母是什么意思?”
我说:“P是黄色字母,R是橙色字母,我说的就是字母的颜色阿。”
我父亲反问:“字母的颜色?”
我以前从未和人谈及字母颜色,也没想过和他人提起。从我记事起,我就知道每个字母有不同的颜色。每个单词也有不同的颜色(通常,首字母的颜色会影响整个单词的颜色),数字也是如此。字母、单词以及数字的颜色和形状一样,是本身固有的,并和形状一样,颜色永远不会改变。当我看到或想到字母或单词时,颜色就会自动显现,我无法更改。
我认为所有的人都是跟我一样这样看世界,因此父亲一脸迷茫的反应完全出乎我意料。对我而言,我觉得自己好像就说了类似“苹果是红色”或“树叶是绿色”这样普通的话,却引起了对方完全不知所措的反应。我当时并不知道,能看到“P是黄色”、“R是橙色”、“B是绿色”、“5是紫色”、“周一是棕色”和“周四是蓝绿色”只是全世界每2000人中仅有一人才具备的能力,就像我一样,这种特别的神经学现象被称为联觉。我长大后阅读了美国国立卫生研究院和耶鲁大学致力于联觉现象研究的神经系统科学家们的著作,才了解了这种能力。但当时我和父亲在厨房聊天时从未听过联觉,因此都是一脸茫然。对我而言,那只是我成长中的一个新发现,让我感到这个世界可能和我感受到的不太一样。“你能看到我所见的吗?”,这是人际交往中最常说的一句话,但是现在变成了没有引起别人的共鸣,这是完全出乎我的意料之外的。
我突然觉得,自己陷入了“深蓝色C”、“深棕色D”、“闪烁绿色7”和“深红色V”的个人世界里孤独无依。我看到的还有哪些和他人不同?我陷入了沉思。还有哪些是他人知道,而我不知道的呢?我想,也许世界上每个人都有一些奇特的地方,使得他们与众不同。我突然有种奇思妙想的感觉:也许世界上有多少人,就有多少个独特的世界。
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‘Colors hide within everything, including the night.’
颜色隐藏在万物中,包括黑暗中。-Katherine Vaz, Saudade
从我记事起,我就认为字母、数字和单词就有各种颜色。我还记得,在我知道如何读书写字之前,我脑海中,每个字都有其独特、不变的颜色设计。有时,我会画出我所看到的单词设计,并拿给我父亲看,就像给他看我所有的画一样。
那会我父亲时常在家。起初,由于我爷爷年老多病,意志消沉,父亲不得不请假照看他。后来,爷爷去世后,父亲自己也变得精神沮丧。我母亲告诉我,是我让父亲振作起来的。 我想当时我的联觉反应试验起了很大作用。
我记得,当时父亲坐在客厅宽大松软的绿色沙发椅上,胳膊肘支在沙发扶手上,手托着下巴。我那时年仅4岁,使劲拉着父亲的手,一直问他要蜡笔。我需要一个蜡笔盒里没有的颜色。我该怎么办呢?那会年幼的我已经画了很多画,蜡笔已经成了我生活中的重要一部分。在我的坚持下,父亲不得不离开他那灰绿色的加厚沙发,来到我明亮的小红桌子旁,这里就是我每天画画的地方。小孩的桌子上总是摆满了画纸以及不同颜色、形状和尺寸的蜡笔。我对父亲说:“我没有粉色蜡笔,我需要粉色。” 当时我在画一幅单词的画,粉色对我很重要。现在我已经记不清那个单词了,但我仍记得那个单词有很多粉色。
当我听到别人说单词时,我喜欢画出脑海中不同的单词设计。我从未想过告诉别人这些是关于单词的画。它们只是我的画而已,但这些画一直很相似,都有一个大概的形状和颜色,就像万花筒的花样一样。那天我画的单词就有很多的粉色。
父亲说:“如果没有粉色,你可以用红色阿。轻点画,红色就会像粉色了。
我固执地说:“不行,我一定要粉色。”
父亲看上去很疲倦。那会他晚上总睡不好,常常整天看起来都很累。有那么一会,我还以为他会走开,回到客厅的沙发上去。但我需要他帮我,因此我知道他还是会留下来。
我再次说:“爸爸,我需要粉色。”
父亲说:“那好吧,也许我们可以用你的红蜡笔和白蜡笔调出粉色来。”
我不解地问:“调出粉色?”
父亲答道:“是的,将两种颜色混合在一起,就能调出一种新的颜色。”
我惊讶地问:“全新的颜色?我们能调出粉色?”这感觉好神奇啊。小孩子的意外惊喜之情,取悦了父亲,他就一直陪我呆在小红桌子旁,没回到灰绿色沙发椅上。他还提议我俩去厨房,进行颜色试验,我们将蜡笔盒里的彩色蜡笔溶化,重新调配出新的颜色。
阳光透过窗户洒入厨房,窗户正对着后院的樱桃树,鸟儿们正在树上歇息,并不时啄食小小的红樱桃。我激动地看着父亲将我的蜡笔放进母亲的蔬菜刨丝器里,并开始磨碎。麻雀在窗外叽叽喳喳,后院樱桃树的影子在厨房的墙上变幻着摇曳着,鲜红的蜡笔和白色蜡笔薄片从刨丝器缝隙里落进炉子上的锅里。父亲将炉火点着,我好奇地看着蜡笔薄片变成液体,父亲将液体倒入空的金属圆珠笔笔杆,并放到烤箱里。当液体在烤箱中升温充分后,父亲拿出了笔杆并打开,就像小鸡孵化一样,一个全新的粉色蜡笔出现了,尽管形状不好看,但无疑是一个能用的粉色蜡笔。
我兴奋起来,拿着我新的粉色蜡笔,在厨房里与阳光共舞。
我不禁问道:“我们还能做出其它颜色吗?”我希望父亲与我继续呆在充满阳光的厨房里。
我们反复做试验,尝试用不同的颜色来做出新的颜色。在等待蜡笔受热的时候,我发现父亲有时看起来很悲伤,眼睛直愣愣地盯着某处发呆。这时我就拉起他的手,告诉他我想要看更多五彩的颜色。父亲站起来,将绘儿乐牌黄蜡笔与绿蜡笔调配成淡黄色,并将黄蜡笔和红蜡笔调配成亮橙色蜡笔。
我突然有了一个主意:如果我们将两个不同色蜡笔混和后,做出这么漂亮的新颜色。那如果我们将所有彩色蜡笔混合后,会做出什么颜色呢?我问父亲能否将蜡笔盒里的所有颜色混合后做出一个新的蜡笔。
他犹豫了片刻后说:“行,我们可以做个试验,看看会做出什么。”然后他将剩下的蜡笔全部磨碎并融合在一起,做出五彩斑斓的蜡笔屑,随后放入锅中加热成彩色液体漩涡。当液体倒入笔杆后,我们就开始等待,因为父亲说‘这个需要烘烤久一点。’他走进客厅,坐在沙发上。
我在客厅和厨房之间来回跑着,边跑边喊:“爸爸,爸爸,快来看看彩色,快来!”
过了一会,父亲被我拉回到厨房的炉火旁。他将笔杆拿出烤箱,并打开;结果却是令我意想不到的失望,孵化的并不是我满心期待的彩虹色,却只是一个普通的黑色蜡笔。
我不禁问:“爸爸,为什么啊?为什么只是黑色呢?”
父亲看出了我的失望,温和地说:“当你把所有不同颜色融为一体时,只能得到黑色了。”
当时彩色液体漩涡变成黑色的事情,让年幼的我想到了父亲的悲伤。
那天剩下的时间内,我就坐在自己的小红桌旁,拿着我的黑蜡笔一直涂色,在画纸上涂满黑色的底色,之后再画出漂亮的彩色单词设计。事实上,这正是我脑海中出现的单词设计:单词的发音让我在黑色底色上画出明亮彩色的样式。
我给父亲看了我用蜡笔画的所有彩色设计;我从没想过告诉他这些是单词的画画。它们只是我的‘设计’。 我记得很清楚,我喜欢单词design (设计)的发音,就画了下来。但现在我只能模糊地记得那些单词设计的大概样子。
人们问我,为什么我在孩童时期不提自己的彩色单词呢。我从没想过谈这些事情。它们只是我脑海中的一部分。当时,不同的事物结合在一起,形成了一个统一的生活体验。我从没想过将单词样式分解开,形容脑海中单词的设计,就好像它们是一些不同寻常的事情。我根本不知道这不寻常。听到单词,就自然而然地看到单词设计,我从没怀疑其他人在听到单词时,脑海中不会出现彩色设计。我只是觉得脑海中出现的设计十分漂亮,我想要将它们画下来,让父亲高兴。
但现在我已经不太记得这些漂亮的单词设计。为什么我已经记不清了呢?我想,当我开始学习社会上认同的语言表达方式--字母表--后,单词设计就开始消失了。我记得自己三、四岁时,我被厨房桌上咖啡罐和谷粮盒标签上的单词和字母迷住了。我坐下来,拿着铅笔将它们的样子抄写在画纸上,仿佛这些就是设计一样。我将咖啡罐棕色标签上的‘雀巢咖啡’和扁平的蓝白色盒子上‘Jane Parker苹果派:令人垂涎的美食’抄下来。我在抄写这些单词时,还不会读;当时,我只会读一些字母,但不会读单词。我记得自己当时很想快点到入学年龄,这样就能在学校学会怎么读出自己抄写的单词。父母都很鼓励我抄写单词和字母,我记得他们总是会和我一起唱出那些单词和字母。我们一起唱的最多的就是字母歌A- B- C-D-E-F-G/-H-I-J-K/-LMNO/-P,这让我知道了‘lmno’分别是不同字母的名字。我记得当我问父母‘你们怎么写lmno?’ 时,他们都忍不住笑了。我还记得,自己认为lmno是一个抽象的设计,令人想起一个带有棱角的黄色和一个三角嘴型的棕色小鸟。
尽管我学习的所有字母都立刻能显现颜色,但我有时也会想,我最先想到的单词设计的颜色和字母发音激发的颜色直接是否有关联,也希望自己能回想起足够的单词设计,以便比较它们之间的颜色。
我花了很长时间才学会字母R。当时我一遍遍尝试,但一直不得要领。父亲看出了我的沮丧,就很耐心地一遍遍演示给我看,但我还是不会模仿。直到一天,我长时间盯着字母R,突然发现它与字母P很相似。两个字母之间的差别就是在P基础上加一条小斜线。这意味着我会写P,就会写R!我十分激动,屏住呼吸,拿起笔写了一个P,随后从半圆形画了一条小斜线。我的理论成立了,我确实会写R了!与淡黄色P不同,R的颜色是橙色。只要加条线,一个黄色字母就能变成一个橙色字母,这让我感到很惊奇。
我高喊道:“爸爸,爸爸,快过来看看,我会写R了!”父亲赶忙跑到我的小红桌旁。我写的R就在一堆字母设计画纸和字母铅笔画中间:一个歪斜的小字母,虽然线条比直线歪多了,但毫无疑问,就是字母R。父亲脸上绽放出十分灿烂的笑容,他很高兴自己的指导终于有效了。他把我举起自己的肩上,驮着我一起庆祝我终于成功了。
当父亲驮着我在小红桌旁走来走去时,我看到了我们自制的黑色蜡笔,这只蜡笔不再是令我失望的颜色去除者,而是所有颜色隐藏之处。
Blue Cats and Chartreuse Kittens: How Synesthetes Color their Worlds (Blue Cats and Chartreuse Kittens:联觉人的彩色世界)
该书最早由Henry Holt & Company于2001年发行英文版
English to Chinese translation by Nanjing Shanglong Communications
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